Il existe aujourd’hui au travers des revues scientifiques des dizaines de milliers de publications attestant des bienfaits des pratiques de méditation d’un côté et d’autohypnose de l’autre. Lorsque ces approches sont présentées dans des revues ou des congrès spécialisés, elles se trouvent systématiquement comparées et évaluées l’une par rapport à l’autre. Or, le clinicien que je suis préfère chercher le gain existant à articuler méditation et hypnose entre elles plutôt qu’à les jauger l’une l’autre. Je vous présente les avantages à les coupler pour les amener à se féconder mutuellement et à engendrer ainsi un potentiel thérapeutique exponentiel.
Tout d’abord, il convient de préciser qu’il y a plusieurs types de méditations et non une seule et unique pratique. Je vais retenir ici les différents aspects qui peuvent présenter un intérêt pour l’articulation thérapeutique avec l’hypnose clinique. En occident, actuellement, la méditation est souvent encore considérée comme une démarche religieuse bouddhiste mais son utilisation laique progresse très rapidement, en particulier sous l’impulsion des experts médiatisés qui oeuvrent dans le champs des thérapies cognives et comportementales ou humanistes (Christophe André par exemple) ou en neurosciences (Mathieu Ricard). Cette forme de méditation se nomme Mindfulness en anglais et se traduit (mal) par « pleine conscience » en français. Il serait plus juste de parler de « pleine attention et pleine présence » tant le mot de conscience est sujet en psychologie et en philosophie à une multitude de débats dialectiques contradictoires. « Mind » ne peut pas se réduire à la conscience, c’est à la fois l’esprit focalisé mais aussi ouvert à tout ce qui est là et par conséquent éminemment présent au réel dans sa totalité. Donc à chaque fois que l’attention s’échappe en automatique vers une sensation, une pensée, un jugement, une émotion, une envie comportementale, il s’agit de prendre note de ce mouvement puis de l’accepter sans rien y ajouter. L’attention récupérée est alors centrée sur un objet d’attention délibérément choisi (la respiration, un son, un ressenti corporel, une pensée, un mantra…). Une petite phrase me permet d’apprendre ainsi aux patients cette pratique de pleine attention : « bonjour / c’est OK / pas d’histoires / quoi d’autre ? ». La pleine attention est essentielle au sein d’une culture qui se perd dans l’accélération permanente, l’exigence, la performance, la gestion, la maîtrises, toutes dimensions opposées aux besoins des êtres humains qui restent des mammifères aux rythmes chrono-biologiques et aux besoins de socialisation et de contemplation. Nous verrons plus loin comment la pratique de la Mindfulness peut fertiliser celle de l’hypnose.
Mais continuons pour le moment à spécifier les méditations qui nous intéressent dans cette danse avec l’hypnose (ou devrais-je dire les hypnoses). Une seconde grande famille de pratiques méditatives concerne la bienveillance aimante et la compassion. Tandis qu’un premier axe d’aliénation psychosociétale concerne l’accélération et la performance, une autre dimension touche la tendance judéo-chrétienne à la détestation de soi et à la culpabilité. Les personnes souffrant ainsi d’un déficit en estime de soi et en confiance en soi sont légions tandis qu’autant de personnes compensent en prenant l’emprise sur l’autre et en l’exploitant. La pratique du Mahayana, de la compassion envers soi-même, les autres et le monde, permet de sortir de cette ornière et de changer les rapports en profondeur.
Ces attitudes quotidiennes (centration de l’attention, acceptation, compassion, bienveillance, ouverture, présence) cultivées dans leur plénitude font progresser chaque pratiquant vers une « vision profonde » c’est-à-dire épurée des illusions qui l’entravent habituellement. C’est le troisième aspect intéressant de la méditation. Nous évoluons tous sans cesse au milieu de « voiles » qui dissimulent les choses telles qu’elles sont. Nous croyons que nos pensées sont la vérité alors qu’elles déploient des biais cognitifs, nous imaginons mourir très vieux et ce-faisant rejetons la mort loin de nous ne sachant plus que faire des maladies et des décès brutaux, nous sommes certains que nos efforts pour changer les autres vont être couronnés de succés et l’épuisement guette avec son cortège de scléroses et de paralysies. La vision profonde correspond à l’ouverture d’une claivoyance, d’un discernement qui permet de refléter les choses telles qu’elles sont. Elle permet de séparer ce qui se trouve sous notre influence et que nous sommes donc convoqués à changer en responsabilité et ce qui se trouve hors de notre influence, l’autre, la mort, la nature, etc…Ne plus s’épuiser pour rien, changer la communication, réaliser que l’énergie de la plainte est en fait celle que nous devrions mettre au changement. La méditation amène à l’éthique : une action devenue ajustée aux ressentis et aux pensées justes et non plus un cortège brouillon de réactions.
Ainsi la progression dans la vie se fait-elle de façon plus tranquille et modérée, non plus dans une suite de hoquets, accélérations et fixations. C’est la quatrième dimension importante de la méditation, une autre disposition de l’être au monde. « Le chemin est le but » (C.Trungpa). Face à la plannification, une disponibilité. Face à la contrainte, une intention. Face à la performance, faire de son mieux. Face à la course, une ballade dans la vie. Flanner plutôt que rentabiliser; contempler sans chercher à « se rendre maître et possesseur de la nature ». La méditation devient philosophie et pratique de vie, un art de se laisser être, de laisser se faire. L’énergie habituellement investie à tout contrôler et gérer, à s’agiter en tout sens devient disponible pour déployer une présence pleine et entière à ce qui se trouve là présent. Les yeux et l’esprit s’ouvrent sur le bonheur déjà existant. La vision profonde est la voie vers la découverte que les conditions de bonheur ne sont pas à conquérir ailleurs et après. De cette configuration paisible nait un apaisement bienfaisant qui oeuvre au soin des maux et surtout au maintien de la santé car la science découvre aujourd’hui avec l’épigénétique et les télomères ce que le Bouddha (nommé « le docteur ») avait déjà transmis il y a 2500 ans : la justesse entre les extrêmes (équanimité), la désillusion apaisante (impermancence des choses et sagesse), la mesure en toute chose, la pratique quotidienne, le plaisir et l’exercice dans toutes les dimensions de notre être sont les étapes de la voie vers la santé.
En ce qui concerne l’hypnose, j’aime distinguer deux domaines qui sont souvent mêlés aujourd’hui mais qui gagnent à la différenciation. Je rappelle qu’une différenciation se fait à l’intérieur d’un même système, d’une cohorte de pratiques apparentées, en distinction d’une individuation qui elle se sépare du tout. D’un côté, nous trouvons l’hypnose médicale qui utilise essentiellement des pratiques dissociatives, fécondes au bloc opératoire ou aux urgences pour se substituer à des substances médicamenteuses ou favoriser des actes de soins. D’un autre côté nous découvrons l’hypnose clinique qui se fait « au lit » du malade, thérapeutique par son étymologie « au service » du monde intérieur du patient. Elle n’utilise pas ce monde pour une fin de soin, elle potentialise ce monde pour au auto-soin. Elle ne vise pas un acte ponctuel hospitalier, elle cherche le déploiement d’une pratique de vie soutenable, durablement modifiée par le sujet lui-même. Les deux aspects de l’hypnose présentent de grands avantages. En thérapie, le second mouvement présente des avantages considérables. Tandis que l’hypnose médicale travaille surtout avec la dissociation (pendant qu’une partie de vous est ici, une autre partie de vous se distingue dans l’espace ou le temps), l’hypnose clinique thérapeutique oeuvre avec l’association. Le patient en thérapie se montre déjà dissocié, les pièces de son puzzle (sensations, émotions, pensées, intuitions, relations, actions) fonctionnenent indépendamment et souvent séparées ou en contradiction les unes avec les autres. Il s’agit d’introduire un changement dans le fonctionnement qui va diffuser et permettre de relier à nouveau toutes les pièces les unes avec les autres. Ce mouvement permettra un processus vital à nouveau fluide, circulant, irriguant. L’hypnose dissociative procéde par focalisation d’attention puis maintien de coupure, l’hypnose associative avance par imprégnation et participation à l’entièreté de ce qui est. Absence au contexte versus présence au tout. L’hypnose thérapeutique avance dans les pas de ce que F.Roustang appelle la veille généralisée qui consiste à « se trouver partout en même temps », une « thérapie par l’éveil » (les veilles ?)
Alors cette forme d’hypnose clinique thérapeutique peut féconder la méditation pleine attention dans la mesure où elle permet de ne plus laisser s’échapper ces moment d’illumination, d’insight qui sont considérés par les traditions méditatives comme des évènements qu’il convient de laisser passer au même titre que les souffrances mais de les recueillir comme autant de joyaux offerts par l’inconscient. Cet inconscient éricksonien n’est pas une poubelle du refoulé mais un centre de ressources qui cherche à envoyer des messages et à attirer l’attention de la conscience. Il le fait d’habitude par des symptômes. Dès que la personne se pose pour pratiquer, un espace de disponibilité s’ouvre pour l’inconscient. C’est comme si le sujet lui disait : « cher petit inconscient, de quoi devrais-je m’occuper maintenant ? Quel sujet d’adaptation requiert ma vigilance ? » Cette disposition permet à cette partie de notre cerveau qui scanne la réalité pour créer de la sécurité de pouvoir éviter la souffrance et d’envoyer les messages directement à la conscience.
Voilà donc une première articulation entre méditation et hypnose. Nous nous posons officiellement en méditation, nous laissons se passer les sensations et autres ruminations à l’aide de notre petit mantra et de la récupération de l’attention focalisée. Nous entrons ainsi dans une transe. Focalisation, dissociation. Lorsqu’une idée, une évidence, une solution, une émergence se manifestent, nous la retenons et observons de quelle façon concréte elle pourrait s’installer.
Au sein des pratiques méditatives de compassion, nous démultiplions l’intérêt des visualisations méditatives par un usage polysensoriel du « Vakog » (visuel-auditif-kinesthésique-olfactif-gustatif). Nous donnons ainsi de l’ampleur à la transe méditative. Les pratiques deviennent également des rituels, prennent la valeur puissante de cérémonies telles que C.G.Jung a pu montrer l’importance de ces symboles archétypaux pour les humains. L’espace géographique devient « sacré » car il m’est « consacré », une dimension « numineuse » d’invite dans la pratique et les frontières entre méditation et hypnose se perdent, se mêlent, s’emmêlent.
Lorsqu’un évènement externe vient sortir de la transe hypnotique, il est souvent difficile de se dissocier à nouveau en autohypnose. Ici, la méditation pleine attention vient aider à retourner facilement dans un état rapide de transe profonde. « Bonjour la sonnerie du téléphone, c’est OK avec toi, je n’en fais aucune histoire, pas de millefeuilles de pensées et de jugement ajoutés sur le fait, je reprends mon attention qui était partie en automatique, je la pose à nouveau sur la respiration, descends dans son rythme ralenti, me laisse descendre de plus en plus profondément, jusqu’à cette châleur agréable de ma plage de Guadeloupe que je retrouve, ah…! »
En systémique, on demande fréquemment combien font 1+1. Cela fait deux bien entendu dans la logique linéaire cartésienne et mathématique. Mais celà fait 3 et aussi une infinité de possibilités dans la lecture complexe et systémique. Car la formule méditation + hypnose ne se réduit pas à l’addition de leurs propriétés, elle fait émerger un troisième élément, l’ensemble des deux pratique se fécondant mutuellement. Et cette engeance se diffuse telle une onde dans de multiples directions, devenant corpusculaire au contact de chacun des contextes qu’elle rencontre. De cette union naissent des frères et soeurs, matrices de la lune et du soleil, la santé et le soin durables.